Voilà plus de deux ans, je découvrais le sommeil polyphasique et ses possibilités. Très sceptique au départ sur la capacité de l'homme à jouer avec le sommeil, je finissais par admettre que la quantité de données scientifiques présente ne pouvait être le fruit d'un canular.
Désormais convaincu, je me donnais pour objectif de tester le système le jour où mon emploi du temps me permettrait de m’accommoder de toutes ces contraintes temporelles.

Deux ans plus tard, je devais me rendre à l'évidence : il est impossible d'avoir un planning assez souple pour ce type de sommeil en six siestes. Déçu, je choisissais de me rabattre sur la méthode « simple », le sommeil biphasique : une période de repos de 6h, et une sieste de 20 minutes pendant la journée. Bien moins impressionnant, mais déjà une grosse amélioration pour moi, gros dormeur nécessitant mes 8h30 de sommeil quotidiennes pour être frais.

Le 25 janvier, je me décidais pour un mois de sommeil biphasique, durant toute la durée de février, ce qui me laissait six jours pour trouver mon rythme.
Cet article relate mes péripéties.

Mes objectifs

Le but du sommeil biphasique est de gagner du temps : cependant, cela ne doit pas être au détriment de l'organisme, et même si le corps dort moins il ne doit pas être fatigué.

Mes objectifs étaient donc simples : dormir 6h20 et être bien dans ma peau – en admettant qu'il y aurait probablement une période d'adaptation difficile à ce nouveau rythme.

Les horaires

Les horaires de « nuit » ont été décidés très rapidement, car je connaissais déjà mes « cycles de sommeil » : coucher à 2h, et lever à 8h.
Au départ, j'ai voulu « tricher » : pensant qu'un rythme régulier suffisait à avoir une bonne hygiène de sommeil, j'ai zappé la sieste, me disant que je tenais bien debout. Malheureusement, cela ne fonctionne pas ainsi : la fatigue était omniprésente, enveloppant la moindre pensée d'un brouillard que je devais combattre à chaque instant. Ne voulant pas tirer les leçons de cet échec, je m'autorisais un week-end de lever à 9h30 ; mais je perdais alors le principal avantage de l'expérience.

Finalement, je me repris en main : 2 h / 8 h donc, et une sieste au milieu. Le plus dur fut de positionner cette sieste (ça semble ridicule, mais il faut trouver un créneau régulier compatible avec chacun des jours de la semaine). Un horaire agréable et pratique pour moi était 13h30 / 13h50 : malheureusement, cela coupait la journée en deux parties inégales. Une semaine à ce rythme suffit à me convaincre que ce n'était pas viable : la matinée se passait très bien, l'après-midi aussi, mais dans la soirée j'errais telle une âme en peine, combattant mon esprit qui me poussait à aller dormir.
J'envisageai en premier lieu de faire une seconde sieste en début de soirée, mais cela prenait du temps et surtout, la méthode de sommeil « à deux siestes » n'était documentée nulle part. Il existe la sieste, les trois siestes et les six siestes, mais pas les intermédiaires. J'ai fouillé un peu, et fini par comprendre que cela ne semble pas correspondre à un rythme que le cerveau « apprend » : je rayais donc l'idée et me décidai à décaler la sieste de 17h50 à 18h10 (ce qui impliquait un aménagement de l'emploi du temps). La plupart des études sur le sommeil indiquent qu'il s'agit d'un des pires horaires, car le corps est à ce moment de la journée à une température qui ne favorise pas l'endormissement : toutefois, cela me permettait de couper les journées en deux parties égales.

Petite indication complémentaire : lorsque je parle de 20 minutes de sieste, il s'agit de 20 minutes montre en main, et non de 20 minutes de sommeil – c'est l'intervalle entre « je me glisse sous la couverture » et « je sors de la couverture ».

Le résultat

Tout compte fait, cela m'amenait à un total de 6h20 « dans un lit » par jour. Cela peut sembler « gros », après tout il nous arrive tous de faire des nuits plus courtes. Cependant, il faut garder à l'esprit :

  • Qu'il s'agit pour moi d'une condition inhabituelle. J'ai croisé des gens qui se contentent de trois heures de sommeil sans sieste : tant mieux pour eux, mais j'en suis personnellement incapable.
  • Qu'il s'agit d'une valeur pour toutes les nuits. De nombreuses personnes fanfaronnent en disant qu'elles dorment 5 heures par nuit : cependant, si l'on fait la moyenne sur une semaine, le résultat tourne presque tout le temps aux alentours de 8 h (plus ou moins une demie heure).

Il ne me restait plus qu'à observer le résultat de cette démarche… il y eut des problèmes, mais aussi de nombreux avantages.

Les problèmes rencontrés

Parmi les différents problèmes, il faut bien distinguer les « troubles initiaux », qui sont intervenus lors de la mise en place du nouveau rythme, des « troubles chroniques » qui sont restés pendant tout le mois.

Les troubles initiaux sont faibles : problèmes de concentration, maux de tête occasionnels… en une semaine, tout avait disparu.

Les troubles chroniques en revanche méritent que je m'y attarde.

Le premier problème peut paraître ridicule, mais pourtant c'est un des plus importants et probablement le plus bloquant pour toute personne souhaitant tenter l'expérience. Le sommeil biphasique fait gagner du temps, très bien : mais ce temps, il faut savoir le meubler. Ce n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît : lorsque la journée a été longue, il m'est souvent arrivé d'avoir envie de « lâcher prise » et d'aller retrouver Morphée dans le lit : non par fatigue, mais par simple désœuvrement ou démotivation à l'idée de commencer une nouvelle tâche. Soyons franc : si vous n'avez pas de quoi remplir des journées plus longues, ne tentez pas l'expérience. Au départ, j'essayais de meubler en surfant sur Internet : mais lorsqu'il est tard, la démotivation arrive vite, puis l'ennui, et l'ennui amène la fatigue. Il faut donc une volonté de fer pour se contraindre à prendre des nouvelles tâches à bras le corps et les traiter. Cela semble probablement ridicule, mais ça ne l'est vraiment pas : si l'esprit faiblit, le corps ne suivra pas. Je pense qu'un seul projet ne suffit pas : pour ma part, j'ai trouvé qu'avoir trois projets me permettait d'alterner et d'éviter l'ennui. Un bon meublant pour les situations difficiles : regarder un film (sélectionné avec soin pour ne pas mourir d'ennui).
De façon surprenante, la sieste ne coupe pas vraiment la journée en deux, mais en trois. En me remémorant les journées passées, je remarque que je coupe inconsciemment en trois parties : le matin, l'après-midi, et la soirée. Cela fait donc trois « sections » à meubler d'activité différentes, en prenant bien garde au fait que la soirée se termine potentiellement plus tard que la plupart des formes d'activités sociales.

Le second problème est à mon avis anecdotique : il s'agit de troubles de concentration. Plusieurs fois, j'ai eu du mal à me concentrer lors de réunions où la personne en face ne me parlait pas directement (réunion à trois par exemple). L'absence de contraintes sociales (regard de l'autre en particulier) poussait mon esprit à vagabonder : en soi, ce n'est pas très important mais cela vient se coupler à un problème plus important : des soucis de mémorisation. Sans être amnésique, il m'arrivait d'oublier les petits détails d'une conversation. Je connaissais le fond, mais le manque de concentration avait affecté ma capacité à mémoriser un détail mentionné en passant. C'est un sentiment troublant, mais qui est resté assez faible pour ne pas justifier l'arrêt de l'expérience.

Troisième problème, qui m'est je pense personnel et que j'avais déjà décelé chez moi lors de phases de manque de sommeil. La première et la quatrième semaine, j'ai souffert de difficultés respiratoires – l'action de « respirer un grand coup » m'était difficile et demandait d'y penser consciemment, ce qui est extrêmement gênant. La sensation est magnifiée en situation de stress, ce qui donne des tentatives maladroites pour respirer en plein milieu d'une situation déjà tendue – pas cool (de la spasmophilie ? )

Dernier problème, le système impose un planning incroyablement serré. Je ne pensais pas que cela serait à ce point là, mais cinq minutes avant le début de ma sieste je ressentais un immense coup de barre. Cela m'empêchait donc de prendre des rendez-vous dans des périodes pouvant se chevaucher avec l'heure de la sieste.
De même pour le soir : je devais faire en sorte d'être rentré chez moi pour une heure et demie du matin. J'ai pu tenir un mois, mais ce fut contraignant : je ne sais pas si j'aurais tenu devant le manque de souplesse de l'ensemble. L'air de rien, socialement, on passe pour un crétin lorsque l'on dit que l'on part faire la sieste !
Globalement, sauter la sieste ou la retarder n'était pas insurmontable : il est juste très difficile de rester concentré lorsque les yeux se ferment seuls.

Les avantages

On pourrait avoir l'impression que les désagréments cités plus haut contrebalancent le gain de temps. C'est effectivement discutable, mais ce serait oublier de prendre en compte les autres avantages.

Tout d'abord, je dois souligner l'excellente capacité d'endormissement dont j'ai fait preuve pendant l'expérience. L'adulte moyen met 14 minutes à s'endormir, et je pense être en temps normal dans cette moyenne. Pendant toute la durée du test, ma durée d'endormissement était de moins de deux minutes (ce qui est bien pratique pour la sieste, si je perdais 14 minutes à m'endormir ce serait coton). Bémol pour les environnements bruyants (j'ai eu une fois à faire une sieste entouré de gens qui parlaient, et ce fut difficile) et la période d'adaptation (dans laquelle on n'est pas fatigué, et où l'on ne dort pas).

Second point, la qualité du sommeil est incroyable. J'avais rarement eu cette volupté d'aussi bien dormir, et surtout de me réveiller sans fatigue. En temps normal, je suis, comme la majorité des gens, obligé de me motiver longuement avant de quitter la chaleur du lit pour affronter le jour. Ici, pas de problème : dès le réveil, on est frais et dispos, comme si le corps avait anticipé la chose.
Bien entendu, j'avais choisi des horaires que j'avais analysés comme propices à un bon réveil, mais il n'empêche que je n'avais jamais eu cette qualité et cette adaptation (de même pour la sieste : c'est surprenant, mais on se réveille vraiment dispos, sans avoir envie de dormir plus).
Je pense que le fait d'avoir des horaires de sommeil réguliers compte pour beaucoup dans cela.
De plus, le corps apprend bien : au bout de deux semaines, je me passais de réveil pour la nuit (en revanche, je conservais l'alarme pour la sieste, même si je pense que je me serais automatiquement réveillé dans les deux-trois minutes).

Troisième point. Je l'avais lu lors de mes recherches sur le sommeil polyphasique sans y prêter vraiment attention, mais pour l'avoir expérimenté je comprends l'importance de la chose. Pendant tout le mois, j'ai eu une sensation de vitesse, de vivre ma vie à un rythme effréné. Il faut dire que l'on se couche après tout le monde, et qu'on se lève avant. Psychologiquement, il s'agit d'une sensation très particulière et loin d'être désagréable qui donne l'impression d'optimiser sa vie !

Dernier point enfin, la nécessité de « faire des choses » permet d'avoir une productivité exceptionnelle. J'ai abattu une quantité de boulot impressionnante, bien plus que ce que j'aurais pu faire en gagnant simplement deux heures de temps par jour. Il s'agissait vraiment d'une optimisation sur toute la journée. Globalement, je lie cela à ma décomposition d'une journée en trois phases « complètes » (matin / après-midi / soir) par rapport aux deux classiques : cela représente donc 50 % de productivité en plus par jour !

En dehors

  • Pour des raisons annexes, j'ai malheureusement arrêté le sport pendant le mois de février. C'est bien dommage, car j'aurais aimé voir si mes performances étaient au même niveau qu'après une nuit de sommeil classique (autrement dit, savoir si les phases de sommeil supprimées jouent sur le physique du corps).
  • Il m'est arrivé de faire une nuit blanche pendant la période d'adaptation : je n'ai toutefois pas eu à en pâtir pendant plus de 24h.
  • J'ai aussi remarqué une grosse propension à consommer un repas nocturne, vers 23h, ce qui semble logique si l'on pense à l'énergie considérable dépensée en plus d'une journée « normale ».

Arrêt de l'expérience

Toute l'expérience s'est arrêtée abruptement : je suis tombé malade, ce qui ne m'était pas arrivé depuis 5 ans ! La fièvre me força à dormir 15 h par jour, me poussant à abandonner l'expérience à quelques jours de la fin.

Je suis maintenant guéri, mais je confesse avoir du mal à retourner sur un rythme normal. Pendant presque une semaine, mes yeux ont continués de s'ouvrir seuls après six heures de sommeil (même si je ne me couchais plus à deux heures du matin ! ), et aujourd'hui encore j'ai des « envies de sommeil » qui interviennent de façon aléatoire, m'obligeant parfois à partir dormir vers minuit.
Cela ne fait qu'une semaine toutefois que j'essaie de retourner au rythme classique, les effets négatifs physiologiques (concentration et respiration) cités plus hauts ont tous disparu et les nuisances du retour à la normale décrites dans le paragraphe ci-dessus s'estompent chaque jour : j'ai bon espoir d'être redevenu un homme “standard” dans la dizaine.

En conclusion ?

Que tirer de cette expérience ? La question est bonne, et dépend énormément de l'éclairage.

Sous un angle, j'ai gagné des heures de temps et de productivité, accompli en un mois ce qu'il m'aurait fallu 50 jours à faire, et j'ai eu la sensation extrêmement gratifiante de vivre ma vie à fond. C'est donc une excellente expérience, qui vient en plus se greffer à une qualité de sommeil incroyable.

Sous un autre angle, je me demande si la plupart des symptômes décrits ci-dessus ne sont pas le signe d'un burnout. Je parle de la nécessité d'un mental de fer : je me demande si, sous prétexte de faire cette expérience, je ne me suis pas détruit à feu doux. Comme je le disais, je n'étais pas tombé malade depuis plus de 5 ans : le timing est ici suspicieux, et je ne peux m'empêcher de le lier au manque de sommeil. J'y ajoute mes problèmes respiratoires, les troubles de la concentration, les performances sportives probablement en baisse et la nécessité de manger plus et je me demande comment je dois analyser tout ça. Suis-je allé trop loin ? Depuis ma remise sur pied, je souffre en effet d'une perte de motivation et d'une difficulté à me mettre sur des projets (le temps qu'il m'a fallu pour rédiger cet article en atteste). Épuisement professionnel, burnout ? La frontière est probablement mince, et je ne sais si j'ai envie de recommencer l'expérience, car je suis bien conscient d'avoir joué avec mon corps à un jeu potentiellement très dangereux.

L'expérience reste très instructive dans tous les cas, et je sais d'ores et déjà que je vais tenter d'améliorer mon hygiène de sommeil sur le long terme en dormant sur des horaires les plus fixes possibles – dans la limite des emplois du temps nocturnes !
Quant à décider si je repartirais sur un rythme biphasique, seul l'avenir me le dira !

EDIT : avec du recul maintenant, je lie vraiment la maladie au manque de sommeil -- un an après, je ne suis toujours pas retombé malade.
L'expérience en elle-même fut passionnante et très instructive, j'en retire une capacité d'endormissement bien plus rapide, et la possibilité de faire des siestes réparatrices (ce que je ne savais pas faire avant). Et l'envie de retenter l'expérience est toujours là !